Tout lecteur d’Albert Cohen est d’abord plein de ces évocations saisissantes de l’antagonisme radical entre « la Loi » et « la nature » dont l’auteur semble avoir fait le socle de sa vision du monde : « […]C’est notre héroïsme désespéré que de ne vouloir pas être ce que nous sommes et c’est-à-dire des bêtes soumises aux règles de la nature que de vouloir être ce que nous ne sommes pas et c’est-à-dire des hommes. » Quel est le soubassement de cette vision du monde ? Est-il à chercher dans le judaïsme dont Cohen se réclame ou dans une pente quasi gnostique, comme le soutient Jack Abecassis ? Comment se traduit-elle poétiquement ? Que vient-elle signifier politiquement et philosophiquement ? Que trahit-elle de l’imaginaire de l’écrivain, de son rapport à la nature, au corps, à la femme ? Comment l’aversion déclarée pour l’animalité peut-elle s’accorder avec les mille et une preuves de l’intérêt, sinon de l’amour, de l’écrivain pour les « bêtes » ? Car ouvrir l’œuvre de Cohen, c’est découvrir une incroyable faune, dans laquelle les animaux ne sont pas toujours des repoussoirs allégoriques : des chattes aux termites, des chevaux de retour aux félins – miniaturisés ou non -, des langoustes d’Ariane aux araignées adultères, des aigles aux crapauds, en passant par les grosses mouches noires et jusqu’au chien auquel Solal envisage un moment de faire sa déclaration d’amour, le bestiaire de l’écrivain semble inépuisable.