« Le monde se compose de tessons qui s’éparpillent, c’est un obscur chaos incohérent que seule l’écriture maintient. » Ces mots d’Imre Kertész accordent à l’écriture la force de sauver un monde en perpétuelle désagrégation. Or une telle écriture ne peut déboucher que sur une forme en péril, tendue entre un chaos menaçant et une cohérence toujours visée, jamais atteinte, exhibant ses propres tâtonnements et s’enfantant dans la douleur. Les articles réunis dans ce volume ont pour objet les trous, brisures et montages de la prose narrative au xxe siècle – entre autres dans les oeuvres de Handke, Simon, Perec, Levi, Tabucchi, Kertész, Glissant, pour qui le récit ne saurait être qu’un champ de forces où s’affrontent désir de totalité et menace de désintégration. Dans cette forme discontinue où nombre d’écrivains et de critiques voient la marque même de la modernité, la recherche formelle est inextricablement liée à un questionnement politique : le désordre du récit implique une réflexion sur l’Histoire et sur la possibilité de l’écrire. La forme hachée à laquelle aboutissent les auteurs peut être l’indice d’une faillite, le récit échouant à représenter l’irreprésentable. Mais elle peut aussi se voir investie d’une valeur critique : contre le mensonge d’une forme lisse, le récit discontinu, revenant inlassablement sur lui-même, se fait l’instrument d’une réflexion que le lecteur est invité à poursuivre.